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Shipwreck of the Thought

 Naufrage de la pensée

                

 

"Sable fin comme poussière ah mais poussière en effet profonde à engloutir les plus fiers monuments qu’elle fut d’ailleurs par-ci par-là".

Samuel Beckett, Pour finir encore.

 

La fin de tout 

 

Les œuvres de France Lerner disent la fin de tout, et son geste artistique s’effectue sous le signe d’Apollon écorchant vif Marsyas ; sous le signe paradoxal d’un dieu serein, mesuré et lumineux, cédant à une cruauté dionysienne et dépeçant soudain la réalité nue et crue.

Car c’est à la vérité simple que tout se décompose, qu’un naufrage universel est en cours et qu’ainsi tout est perdu, que les œuvres de France Lerner conduisent. Et cela et exprimé sans affect ni pathos; avec une mesure sereine, dans une clarté apollinienne ; C’est là le secret et le paradoxe de tout art : Que ce qui est impossible à vivre et à penser, qui affole la raison et mine le vouloir-vivre, puisse devenir objet de contemplation et agréable à voir.

 

Les apparences, objectives, sont équilibrées ; le trait, incisif, ne tremble pas ; le dessin, chirurgical, est sûr. Et avec autant plus de force que le sujet est proche de s’effacer, sa présence de l’absence, et sa réalité de rien. Et la technique de France Lerner consiste alors, toute existence réduite à ce presque rien fatal, dans l’incertaine proximité de son dernier état, à donner corps à la disparition même de ce qui disparaît.

On distingue ici des dessins, des gravures, des sculptures ; et partout, comme dans un champ de ruines, des empreintes, des traces, des inscriptions, des souvenirs, des fossiles, tout en décomposition, et de telle manière qu’ils ne donnent jamais le sentiment que quelque chose fut si peu que ce fut, comme jadis Pompéi, mais au contraire celui que tout est sans cesse entrain de cesser d’être.  

Ainsi l’ensemble des dessins « vers dégénérescence » que la lumière traverse et dissout, que la même lumière fait paraître et sitôt disparaître, et qui tendent à l’invisibilité du signe. Et qui dessinent en cela ni ce qu’il voient ni ce qu’ils ne voient pas, mais simplement qu’il n’y a (plus) rien à voir.

Ainsi la série des dessins de buée qui arrêtent sur image la dissipation d’un monde évanescent, et le saisissent juste avant qu’il parte en fumée. Dans un instant, disait Marc-Aurèle, tu ne seras plus que de la cendre, un squelette, un nom ; et le nom n’est qu’un bruit, un souffle. Et le dessin de France Lerner prend forme dans la désintégration même de ce qui expire. Epars des corps gisent, pulvérisés, fragmentés, mutilés. Et la suite des « lobotomies », qui préfigure la torpeur des statues, qui annonce le gris final d’un jour de plomb, grave la vérité de tout crâne : lieu des restes, dit Beckett, où jadis dans le noir de loin en loin luisait un reste.

Puis vient « le naufrage de la pensée » ; En verre, cristaux, plomb, vitrail et sable, l’œuvre est sculptée dans la tradition de la statuaire. Avec exactitude elle souligne le règne de l’algue proliférante, métaphore de toute pollution et de l’universelle corruption du réel, et travaille de la sorte à sa propre négation : dans ces parages du vague en quoi toute réalité se dissout, écrivait Mallarmé, rien n’aura eu lieu que le lieu ; et tout l’art de France Lerner est ici , du fond de ce naufrage, dans cette promesse du néant, de parvenir à l’expression économe et rigoureuse, élégante et détachée, de ce qui fait précisément horreur.

Et « derniers jours, prix sacrifiés », pour finir (encore). Restent des nuques renversées qui affleurent, et des yeux vides vers le ciel, globes éteints en extase ; et c’est tout ce qui reste. Et cela reste comme sorti du temps, sans paraître provenir d’aucun état antérieur : tels des soldes permanents ; de plâtre et de plomb, figée, l’œuvre n’offre donc rien à voir que le vain et dérisoire relief que cela fait sur la poussières. Poussière qui pour avoir tant englouti, précise Beckett, n’engloutit plus et tant pis pour le peu qui affleure encore. Le peu qui affleure encore, qui fait que le spectacle continue d’une fin qui n’en finit pas. Car il n’y a pas de dernier jour quand tous les jours sont les derniers, et ainsi nul terme au sacrifice de ce peu qui affleure encore.

 

François Carassan

"Lobotomy Premeditation"

Diptych on black board with white chalk lacquered. Size: 240 x120 cm, (1994).

"Shipwreck of the Thought"

Installation: 3 tons of send, led and glass cast heads of approximately 150 cm, (1993).

"Circomphalos"

Etching on copper plate. Size: 45 x 18 cm, (1992).

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